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Filou se posa sur l’épaule de Séqen, qui, après l’avoir caressé, lut le message que lui apportait le pigeon.
— Les Hyksos inspectent la nécropole, annonça-t-il à ses hommes. Ensuite, il ne leur restera plus à contrôler que la région désertique qui s’étend vers le nord.
— On les affrontera et on les tuera, promit un jeune guerrier.
— Ce serait une victoire sans lendemain, estima Séqen. La disparition de ce détachement serait signalée au quartier général, qui nous enverrait toute une armée contre laquelle nous serions impuissants.
— On ne va pas se laisser massacrer sans réagir !
— Respectons les consignes d’urgence et ne traînons pas.
À l’entrée de la nécropole, le chef du détachement hyksos eut un mouvement de recul. Le gouverneur Emheb lui avait confié que plus aucun Égyptien ne s’aventurait dans cet endroit hanté par des monstres à tête de vautour et à pattes de lion. Ils attaquaient leurs victimes par-derrière, leur crevaient les yeux, leur perçaient le crâne, buvaient leur sang et mangeaient leur moelle.
Ancien pirate, l’officier avait abattu suffisamment d’adversaires pour ne pas redouter ce genre de bestioles. Mais ses soldats, pourtant bien armés, n’étaient pas de son avis.
L’austérité du lieu et le silence pesant qui y régnait le mirent néanmoins mal à l’aise.
Lorsqu’un chien aboya, le Hyksos sursauta.
L’un des fantassins tira aussitôt une flèche. Elle s’écrasa sur une stèle maudissant les profanateurs, et le dernier gardien du cimetière prit la fuite.
— On ne va quand même pas recenser les morts, observa un fantassin.
— Et si on pillait les tombes ? suggéra l’un de ses camarades.
— Toi, vas-y le premier.
— Tu crois à ces histoires de monstres ?
— Bien sûr que non ! Mais vas-y le premier.
Le chef du détachement avait l’œil : petites sépultures, la plupart abandonnées, certaines éventrées… Il n’y avait rien à espérer.
— Personne à recenser dans ce coin-là, constata-t-il. Allons explorer la dernière zone en blanc sur ma carte.
— Par là, chef, c’est le désert !
— Tu en as peur ?
— Certains prétendent que c’est dangereux, avec tous ces monstres qui rôdent !
— Aucun monstre ne saurait résister à trois cents soldats hyksos. En avant.
De la base secrète, il ne restait plus rien d’apparent. Séqen avait fait disparaître toute trace de campement. Ses hommes s’étaient bien cachés, les uns derrière des collines plus avant dans le désert, les autres dans des galeries souterraines creusées à proximité du camp d’entraînement. Le roi et deux de ses meilleurs soldats s’étaient réfugiés dans une grotte naturelle d’où ils pouvaient observer le site sans être repérés.
Séqen vit arriver les éclaireurs hyksos, bientôt suivis de l’avant-garde, puis du gros de la troupe.
Ils marchaient d’un bon pas, comme s’ils étaient pressés de traverser une région hostile.
Soudain, leur chef s’immobilisa et contempla le sol.
— Pourvu qu’il n’ait pas découvert l’entrée d’une galerie, s’inquiéta l’un des soldats égyptiens.
— Il n’y en a pas à cet endroit, le rassura le roi.
L’officier ramassa un objet et le brandit.
— L’une des épées en bois que nous utilisons pendant les exercices, maugréa Séqen, furieux contre cette négligence qui risquait de leur coûter la vie.
— C’est un jouet, chef ! estima un sous-officier.
— Possible… Il a beaucoup servi.
— Voilà les seules armes dont disposent les Égyptiens pour nous combattre ! s’exclama un fantassin, qui déclencha l’hilarité générale.
Tournant lentement sur lui-même, le chef du détachement scruta le site.
— Explorez-moi tout ça, ordonna-t-il.
Pendant plus de trois heures, les Hyksos cherchèrent d’autres objets, preuve que l’endroit avait été habité ou l’était encore.
Le résultat fut négatif. À l’évidence, le jouet avait échoué là à la suite d’une tempête de sable, à moins que l’un des rejetons d’une tribu nomade ne l’eût oublié.
— On est arrivés au bout de la zone, chef, fit remarquer un éclaireur. Pas âme qui vive.
— Il y a encore cette grotte qui m’intrigue. Jetons-y un coup d’œil.
— Ils viennent vers nous, Majesté !
— Garde ton sang-froid, soldat.
— S’ils pénètrent dans la grotte, nous sommes perdus !
— Aïe confiance.
— On devrait s’enfuir !
— Trop tard. Allons tout au fond, aplatissons-nous sur le sol, et plus un mot.
À l’entrée de la grotte, Séqen avait disposé des ossements d’animaux, dont certains encore pourvus de lambeaux de chair.
— Il y a un monstre là-dedans ! constata un Hyksos.
— Pas un monstre, mais certainement un carnassier, objecta le chef.
— S’il se trouve dans son antre, il nous attaquera.
— On dispose d’un moyen simple pour le savoir… Archers, en position !
Une dizaine de flèches partirent vers le fond de la grotte.
Lorsque l’une d’elles s’enfonça dans le bras du soldat placé devant lui, Séqen lui plaqua aussitôt la main droite sur la bouche afin de l’empêcher de crier.
Les autres flèches étaient passées au-dessus des trois Égyptiens et s’étaient écrasées contre la paroi.
— La bête n’est pas au nid, jugea l’un des archers. On attend son retour ?
— Elle nous sentirait et ne s’approcherait pas… Et puis nous n’avons pas à recenser les animaux sauvages du désert ! Retour au camp.
Soulagé, le détachement hyksos quitta cet endroit inhospitalier où même un rebelle acharné n’aurait pas accepté de vivre.
Enlacés, chaque jour davantage épris l’un de l’autre, Ahotep et Séqen regardaient les soldats de la nouvelle armée égyptienne dresser leurs tentes et réinstaller leur campement.
La reine avait elle-même soigné le blessé, tous ses camarades acclamant la jeune femme dont le bref discours avait vanté leur courage, garant des victoires futures.
— Le désert nous donne la force de Seth, dit Ahotep. Il n’existait pas de meilleur lieu pour accueillir notre base secrète. À présent, il faut la développer.
— De quelle manière ? demanda Séqen.
— Nos soldats méritent mieux que de simples tentes. Nous allons construire une forteresse, une caserne, des maisons et même un palais !
— Ahotep, tu…
— Plus aucun Hyksos n’explorera ces solitudes. Bâtissons avec un seul mot d’ordre : la libération. À Thèbes, il y a trop de collaborateurs. Nous continuerons à leur donner le change aussi longtemps que nous ne serons pas prêts. Ensuite, nous les éliminerons afin d’assurer notre cohérence.
Séqen n’avait rien à ajouter. C’était exactement le plan insensé qu’il comptait proposer à son épouse.
— Pourquoi as-tu pris le risque de te cacher dans cette grotte au lieu de choisir une galerie souterraine ?
— Parce que je voulais voir arriver et repartir les Hyksos afin que mes hommes ne fussent pas en danger.
Ahotep entraîna son mari jusqu’à la grotte où la mort l’avait frôlé.
— Tu es devenu un véritable chef, Séqen, et je suis fière de toi.
La superbe jeune femme ôta sa robe et s’allongea sur cette couche improvisée.
— Donne-moi un deuxième fils, mon amour.